Julie Héraclès
Vous ne connaissez rien de moi
Il m’a fallu du temps pour digérer cette lecture et me forger une opinion. Preuve en est de la marque que laisse le texte derrière lui.
La photo de « la tondue de Chartres » a fait la une de Life trois semaines après sa prise par Robert Capa en août 1945. Devenue symbole des tortures subies par celles qui se sont fait « embochées », elle fera le tour du monde. L’histoire est toujours écrite du point de vue des vainqueurs, remercions Julie Héraclès de proposer un angle différent sur cette période.
Embochée ?
Avoir été la petite amie d’un allemand.
Décadence ?
Discrédit ?
Qui êtes-vous pour vous forger une opinion si rapide derrière votre livre ?
Que savez-vous, finalement, de Simone ?
Simone grandit dans une famille traditionaliste. Un père chef d’entreprise redevenu simple prolo après la guerre 14/18, une mère à la langue venimeuse qui ne le lui pardonne pas, une grande sœur protectrice et pondérée. Et puis le reste : espoirs, ambitions, humiliations, déceptions.
Simone est brillante.
Elle découvre à travers son apprentissage de la langue allemande une nation éclairée et intelligente.
Rien à voir avec ces pouilleux de français. Elle y croit, à cette nation forte qui offre un regard nouveau sur le monde. Et puis elle croise Otto, ce nazi qui exècre l’idéologie de son peuple.
Indépendamment de la période historique, Julie Héraclès construit le portrait d’une jeune femme dans le délicat et difficile passage de l’adolescence à l’âge adulte. Dans ce cas précis, une jeune fille centrée sur la réalisation immédiate des ses envies primaires, sans réfléchir le moindre instant aux conséquences de ses actes (dessiner des croix gammées sur le mur de l’école par exemple). Une empathie au ras des pâquerettes pour un bonne partie du roman, y compris envers son amie juive qui doit fuir.
Une spontanéité dans les faits et les mots, qui frise insolence et inconséquence.
L’impression que, peu importe la période historique dans laquelle on la placerait, son égoïsme lui reviendrait en pleine tête.
Bref, l’envie bien des fois de la faire sortir du livre pour la secouer, bordel.
Oui, mais.
Les désillusions nuancent sa personnalité. Des flashs altruistes parsèment le récit, comme cette rencontre avec une petite fille juive affamée. Complexité de la période et de l’âme humaine. Simone s’éveille, sûrement trop tard ou pas assez, mais un virage s’opère lorsque l’amour pointe son nez. L’autrice a l’intelligence de ne pas prendre parti, de constater sans juger.
Elle offre une tribune à Simone, et à toutes celles et tous ceux devenu.e.s hontes nationales d’avoir écouté leur cœur.
À noter tout de même que la véritable Simone a fait l’objet de documentation historique, et que ce roman, bien que fondé sur des faits réel, n’en est qu’une fiction librement inspirée. Un podcast France Culture lui est consacré.
Je m’interroge encore sur la tonalité résolument moderne de la manière de parler de Simone. Un léger décalage anachronique qui m’a gêné une partie du roman (j’ai interrogé ma grand-mère, ado pendant la seconde guerre, qui confirme!).
Néanmoins, l’autrice offre ici un premier roman à double temporalité d’une grande maîtrise.
Un récit captivant de bout en bout, qui laisse un arrière-goût indéfinissable en fond de gorge. Je me retrouve face à un paradoxe : avoir profondément détesté le personnage principal (peu importe le contexte historique), mais avoir été séduite par l’écriture de l’autrice.